lundi 6 janvier 2014

Michel Lemieux et Victor Pilon collent leur magie au riche mythe d’Icare

   







Avant la chute
28 décembre 2013 | Christian Saint-Pierre | Théâtre

« Que l’on se souvienne de mon ascension fulgurante et non de ma descente funeste. Ne me tuez pas une seconde fois en me résumant à une chute. » C’est ainsi qu’Icare s’adresse à nous, avec les mots magnifiques d’Olivier Kemeid, dans le spectacle que Michel Lemieux et Victor Pilon s’apprêtent à dévoiler sur la scène du TNM. C’est ainsi donc que le jeune homme, incarné par Renaud Lacelle-Bourdon, insiste pour que nous gardions en mémoire sa vie bien plus que sa mort, autrement dit, que nous nous intéressions aux raisons qui l’ont incité à voler trop près du soleil, bien avant d’épiloguer sur les conséquences de son geste.

L’adaptation du mythe grec par les codirecteurs de 4D Art, une compagnie qui célèbre cette année 30 ans de création multimédia (voir l’encadré), est bien entendu contemporaine. Les mythes ne sont pas « de vieilles choses qu’on trouve dans des livres poussiéreux, estime Lemieux. Nos existences sont empreintes de mythes. Je dirais même qu’on peut lire nos vies au travers de ces histoires, qui sont encore parfaitement en phase avec notre époque. Comme quoi l’homme reste essentiellement le même. C’est la même chose pour le genre de théâtre qu’on fait. La technologie qu’on emploie, la magie qu’on convoque, toute moderne qu’elle soit, s’appuie sur des procédés séculaires, des méthodes vieilles comme le monde. »














Photo : Annik MH De Carufel - Le Devoir

Victor Pilon et Michel Lemieux s’attaquent à un mythe tout sauf poussiéreux avec Icare, au Théâtre du Nouveau Monde.

Dans le labyrinthe de sa mémoire

Dédale, le père d’Icare, est une ancienne vedette de l’architecture, un homme brisé, réfugié en pleine forêt, reclus, incapable de faire ses deuils, errant dans le labyrinthe de sa mémoire. L’action du spectacle se déroule pour ainsi dire dans sa tête. L’homme incarné par Robert Lalonde est hanté par son passé, si bien qu’il reçoit la visite de plusieurs entités, réelles et virtuelles : son fils (enfant et adulte), un ancien élève (Maxime Denommée), sa femme (Pascale Bussières) et un coryphée à la voix d’or (Noëlla Huet).

« Ce sont la mort récente de mon père, révèle Lemieux, et plus précisément les visions qu’il avait en fin de vie qui m’ont poussé à faire ce spectacle. Alors que Victor et moi créons des hallucinations depuis des années, être d’une certaine façon confronté à celles de mon père délirant, je vous jure que c’est une expérience très particulière. »

C’est à ce moment-là que le tandem décide de travailler sur la relation père-fils. Le mythe d’Icare était, pour ce faire, une matière toute désignée. « Ça nous permettait de parler de ces gestes que les enfants posent et que les parents considèrent comme déraisonnés, indique Lemieux. Il y a chez le fils un besoin fondamental, viscéral, pour ne pas dire naturel, de défier l’ordre établi, de rejeter les valeurs du passé. C’est l’un des aspects les plus intemporels de cette histoire. Outre l’insouciance de la jeunesse et le désir de se libérer du joug paternel, de tout ce que le père symbolise de conventions sociales et d’interdits, le mythe nous permet aussi d’aborder des sujets comme le pardon, la transmission, la réussite et la mémoire. »

« D’un point de vue formel, précise Victor Pilon, le mythe d’Icare cautionnait fortement la présence du virtuel. J’irais même jusqu’à dire que cette histoire appelait les fantômes. On tient toujours, Michel et moi, à ce que les projections vidéo soient essentielles, absolument nécessaires au récit. On n’a pas du tout envie de plaquer la technologie sur la représentation. Il faut qu’elle ait un sens profond. On est d’abord et avant tout là pour raconter une histoire, servir des personnages et des destins. »

30 ans à rêver sur les contours du virtuel

Déjà 30 ans que Michel Lemieux et Victor Pilon mélangent le théâtre, le cinéma, la danse, la musique et les arts visuels. En 1996, avec Grand Hôtel des étrangers, le tandem s’engage dans une voie nouvelle, une rencontre fascinante entre le réel et le virtuel. Suivront notamment Orfeo (1998), Anima (2002), La tempête (2005), Norman (2007) et La belle et la bête (2011). On compare les deux créateurs à des magiciens, à des illusionnistes, à des inventeurs scéniques. On loue ici et ailleurs leur imaginaire débridé et leur impressionnante maîtrise technique.

Pas question pour le tandem de célébrer ses 30 ans en s’assoyant sur ses lauriers. L’agenda est déjà rempli jusqu’en 2017.

Norman, leur vibrant hommage au cinéaste Norman McLaren, sera de retour 
à la Cinquième Salle de la Place des Arts à la fin mars.

Continuum, le poème cosmique sur des musiques de Philip Glass, est toujours à l’affiche du Planétarium de Montréal.

Cité mémoire, une installation créée en complicité avec Michel Marc Bouchard, sera inaugurée en 2015 et verra son aboutissement à l’occasion du 375e anniversaire de la ville de Montréal.


À la fin avril, au moment même où un documentaire sur la compagnie sera diffusé par ARTV, Michel Lemieux et Victor Pilon feront leur entrée au Musée des beaux-arts de Montréal. Rien de moins. « Nathalie Bondil nous a invités à déplacer notre art visuel de la scène au musée, explique Pilon. On a décidé de concevoir une installation qui revient sur nos 30 ans de création. Les visiteurs vont passer cinq minutes dans chacun des spectacles. Il y aura des projections, des décors, de la musique et des personnages virtuels. Ce sera comme un labyrinthe de petits poèmes immersifs. On souhaite que ce soit une expérience, même pour ceux qui n’ont pas vu les spectacles. »

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